La Bioéthique
Conférence du Pr Gil
Vendredi 17 mars 2017
Le Professeur Gil :
Le professeur Roger Gil est professeur émérite de neurologie
à l’Université de Poitiers.
Il est directeur du centre régional d’éthique.
Il préside la commission locale d’information (CLI) de la
centrale de Civaux.
Professeur Gil (site UPTV université de Poitiers)
Une
vidéo d’une conférence sur la maladie d’Alzheimer à
la Faculté de
Médecine de Poitiers.
Le site de
la
CLI de CIVAUX :
La définition de la bioéthique:
La bioétique avant d’être définie par le Professeur Gil est
présentée d’une façon simple et claire :
« Que faire pour bien faire ? »
En tant que praticien hospitalier depuis l’ordonnance du 30
décembre 1958 le professeur de médecine fait partie de la fonction publique
hospitalière, il y a donc un lien entre :
PRATIQUE MEDICALE, ENSEIGNEMENT et RECHERCHE.
Sur Poitiers, historiquement, la réflexion éthique formelle
a commencé en 1984 (à la suite de la mise en place du comité national d’éthique
en 1983). L’espace éthique régional a débuté ses travaux en 2013.
Cet espace a plusieurs fonctions :
- formation
en bioéthique
- information
sur la bioéthique
- organisation
de débats avant le vote des lois (comme pour la loi LEONETTI CLAEYS sur la
fin de vie)
Les débats à venir concerneront les indications de la Procréation
Médicalement Assistée. (PMA)
DEFINIR LA
BIOETHIQUE
Avant de définir la
bioéthique, le Pr Gil a expliqué ce que n’est pas la bioéthique.
La bioéthique, CE N’EST PAS LES CERTITUDES. C’est l’envie de
partager même si on n’est pas d’accord.
Le terme BIOETHIQUE date de 1972.
Google NGRAM permet de voir l’apparition de ce terme dans
les livres.
recherche du mot bioéthique sur NGRAM en français.
recherche du mot bioethic sur NGRAN en anglais.
Le terme bioéthique apparaît fin XIX mais il est très peu fréquent.
Son usage se développe à partir de 1976. (quelques années plus tôt dans le
monde anglo-saxon : 1972)
BIOETHIQUE est un mot composé de BIO et de ETHIQUE.
BIO : c’est le VIVANT et la SANTE, les sciences de la
vie et de la santé. C’est donc l’affaire de tous les citoyens.
Dans le cadre de la médecine, il n’y a d’une part pas de
médecine de qualité sans recherche médicale les 2 ayant évolué avec le temps.
La pratique médicale (et les soins) c’est aujourd’hui une
décision collégiale, un échange de paroles.
La recherche est aussi une démarche collective qui s’exerce
à plusieurs niveaux :
-le laboratoire
-l’animal
-l’humain
Cela pose des questions pas forcément nouvelles mais
toujours d’actualité :
- la
question du droit des animaux : aujourd’hui toute souffrance animale
n’est plus tolérable, tout le reste est débat
- les
conditions de l’expérimentation sur l’humain
Toutes ces questions se sont toujours posées alors pourquoi
ne parle-t-on de bioéthique que seulement depuis les années 70 ?
En fait, il a fallu mettre en place de nouveaux concepts et
donc laisser des concepts anciens.
Là encore, pour définir l’éthique, le Pr GIL montre d’abord
ce que ce n’est pas (démarche APOPHATIQUE)
CE QUE N’EST PAS L’ETHIQUE :
Si l’éthique inspire la loi, l’éthique n’est pas la loi.
La loi est votée, pas l’éthique.
La loi s’impose, pas l’éthique.
La loi est répressive (sanctions), pas l’éthique. (en effet,
nous vivons dans une société imparfaite composée d’individus imparfaits et
c’est souvent la peur de la sanction qui nous fait respecter la loi mais ça ce
n’est pas du tout l’éthique , c’est le niveau d’un enfant de 6 ans)
Rq : petit commentaire scolaire, on devrait faire son
travail non par peur d’un zéro mais parce qu’il faut le faire…
Ces 2 mots ont le même sens l’un en grec, l’autre en latin.
Ils signifient mœurs, comportement, manière d’être. Pendant longtemps, ces 2
mots ont eu le même sens.
On le retrouve chez ARISTOTE : Ethique à Nicomaque,
dans la théologie morale,…
Le mot MORALE a ensuite représenté un ensemble de règles
choisi librement comme par exemple la
morale chrétienne, juive, musulmane, libre pensée. C’est ensemble de règles
choisi librement devrait être pouvoir quitter librement.
Or comme pendant longtemps et encore ici ou ailleurs on
n’est pas libre de choisir sa morale ou de la quitter, le mot MORALE s’est connoté
négativement.
La MORALE
est devenue une aliénation et peut le rester. Dans les sociétés démocratiques,
on peut choisir ou quitter librement un corpus moral, la société, en France la République ne nous en empêche
pas. Cependant, même dans une société démocratique, cette liberté n’existe pas
toujours car quitter un corpus moral peut vous valoir d’être exclu ou pire de
votre communauté.
La difficulté à empêcher l’excision en France est lié à ce
dilemme. Ne pas exciser peut conduire à être exclu de sa communauté.
La question de l’EXCLUSION n’est pas à balayer d’un revers
de la main. En effet, l’activité cérébrale (mesurée par RMN) d’une personne
exclue est identique à celle d’une personne ayant des douleurs physiques. Ainsi
l’exclusion est une réelle douleur. (
article original sur exclusion et douleur)
(Source:
Eisenberger, Lieberman, and Williams, Science 2003, Neuroimage, May 2004)
Il faut donc combattre l’exclusion au même titre que la
douleur. La société se doit d’être inclusive et il faut se poser cette question
au niveau d’une société mais également au niveau e son comportement. Si on
provoque de l’exclusion, on provoque de la douleur.
L’ETHIQUE EST DONC LE QUESTIONNEMENT MORAL:
CE N’EST PAS LE
BIEN OU LE MAL CAR LA VIE N’EST
PAS COMME CELA.
L’ETHIQUE C’EST LA COMPLEXITE .
Cela peut s’illustrer au travers de quelques exemples.
- La Gestation Pour
Autrui GPA :
La GPA
est interdite en France mais elle est autorisée dans certains pays (Thaïlande,
Ukraine). Là, c’est la LOI.
Pour le couple qui reçoit l’enfant, c’est BIEN. Le couple
est heureux.
La femme qui loue son utérus elle est un instrument, pour
elle ce n’est pas le BIEN.
Il y a une tension, un dilemme. Le choix ne sera jamais
satisfaisant même si la GPA
est pratiquée gratuitement pour un membre de sa famille.
L’éthique est n’est donc jamais satisfaisante, elle peut
être une souffrance.
Qui doit prendre la décision de réanimer ou de ne pas
réanimer un patient ? Quand ? Selon quels critères ?
Si = MORALE apporte une réponse, l’éthique ne sera que
QUESTIONNEMENT.
La question de l’éthique est :
MON CHOIX AUGMENTE-T-IL MON HUMANITE, L’HUMANITE DU
GROUPE ?
CE CHOIX ACCROIT-IL L’HUMANITE OU AVILIT-IL
L’HUMANITE ?
Le choix éthique c’est celui qui accroît l’HUMANITE.
POURQUOI L’ ETHIQUE AUJOURD’HUI ?
2 grands événements sont à l’origine de la bioéthique telle que nous la
connaissons aujourd’hui :
-un événement historique : LE PROCES DE NUREMBERG (1946)
-des révolutions scientifiques : LES PROGRES DES SCIENCES DE
LA VIE DEPUIS 1945
1. LE
PROCES DE NUREMBERG
C’est le procès de crimes contre l’Humanité. Il ne s’agissait pas de donner
un niveau supplémentaire dans la gravité de crimes mais de leur donner une
dimension publique. Un procès, une condamnation, ce sont des affaires privées.
Les juges de Nuremberg ont considéré que pour ce type de crimes, il fallait en
faire une affaire publique en rédigeant le CODE DE NUREMBERG.
Ces crimes sont d’une autre nature car ils ont été réalisés en partant du
principe que l’on pouvait faire des sous-groupes d’humains, pour en fait en
faire des sous-humains (Untermenschen).
Ces individus devenaient donc de simples instruments que l’on pouvait
utiliser comme de la matière y compris expérimentale et que l’on pouvait voir
devait éliminer. (d’abord les malades mentaux, puis les Juifs, les Tsiganes,…)
Or ce qui fait l’Humanité c’est que l’Homme est un moyen mais il est AUSSI
une fin en soi, chaque individu compte pour lui-même. (KANT) C’est en cela
qu’il s’agissait de crimes contre l’Humanité.
La science nazie qui s’est appuyée sur l’expérimentation humaine sur des
déportés a montré que :
·
La science n’est pas PAR NATURE acceptable, elle
se doit d’être éthique
·
Les scientifiques et les professionnels de la
santé sont capables de crimes
Le CODE DE NUREMBERG : (d’après wikipedia)
La traduction
moderne de référence18 du code de
Nuremberg, faite depuis le texte du jugement, est la suivante pour les 10
articles :
1. Le consentement
volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la
personne concernée doit avoir la capacité légale de consentir ; qu’elle
doit être placée en situation d’exercer un libre pouvoir de choix, sans
intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de
supercherie, de duperie ou d’autres formes sournoises de contrainte ou de
coercition ; et qu’elle doit avoir une connaissance et une compréhension
suffisantes de ce que cela implique, de façon à lui permettre de prendre une
décision éclairée. Ce dernier point demande que, avant d’accepter une décision
positive par le sujet d’expérience, il lui soit fait connaître : la
nature, la durée, et le but de l’expérience ; les méthodes et moyens par
lesquels elle sera conduite ; tous les désagréments et risques qui peuvent
être raisonnablement envisagés ; et les conséquences pour sa santé ou sa
personne, qui pourraient possiblement advenir du fait de sa participation à
l’expérience. L’obligation et la responsabilité d’apprécier la qualité du
consentement incombent à chaque personne qui prend l’initiative de, dirige ou
travaille à l’expérience. Il s’agit d’une obligation et d’une responsabilité
personnelles qui ne peuvent pas être déléguées impunément ;
2. L’expérience doit être
telle qu’elle produise des résultats avantageux pour le bien de la société,
impossibles à obtenir par d’autres méthodes ou moyens d’étude, et pas
aléatoires ou superflus par nature ;
3. L’expérience doit être
construite et fondée de façon telle sur les résultats de l’expérimentation
animale et de la connaissance de l’histoire naturelle de la maladie ou autre
problème à l’étude, que les résultats attendus justifient la réalisation de
l’expérience ;
4. L’expérience doit être
conduite de façon telle que soient évitées toute souffrance et toute atteinte,
physiques et mentales, non nécessaires ;
5. Aucune expérience ne
doit être conduite lorsqu’il y a une raison a priori de croire que la mort ou
des blessures invalidantes surviendront ; sauf, peut-être, dans ces
expériences où les médecins expérimentateurs servent aussi de sujets ;
6. Le niveau des risques
devant être pris ne doit jamais excéder celui de l’importance humanitaire du
problème que doit résoudre l’expérience ;
7. Les dispositions
doivent être prises et les moyens fournis pour protéger le sujet d’expérience
contre les éventualités, même ténues, de blessure, infirmité ou décès ;
8. Les expériences ne
doivent être pratiquées que par des personnes scientifiquement qualifiées. Le
plus haut degré de compétence professionnelle doit être exigé tout au long de
l’expérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent ;
9. Dans le déroulement de
l’expérience, le sujet humain doit être libre de mettre un terme à l’expérience
s’il a atteint l’état physique ou mental où la continuation de l’expérience lui
semble impossible ;
10. Dans le déroulement de
l’expérience, le scientifique qui en a la charge doit être prêt à l’interrompre
à tout moment, s’il a été conduit à croire — dans l’exercice de la bonne foi,
de la compétence du plus haut niveau et du jugement prudent qui sont requis de
lui — qu’une continuation de l’expérience pourrait entraîner des blessures,
l’invalidité ou la mort pour le sujet d’expérience.
2. LES
PROGRES DES SCIENCES DE LA VIE
De l’Antiquité à 1945, il n’y a que très peu de progrès de la médecine si ce
n’est au XIXème siècle les vaccins, l’aseptie et l’anesthésie. De 1945 à 1975,
on invente les antibiotiques, la cortisone, les anticancéreux, les anti-rejets,
la réanimation, la procréation médicalement assistée. A tous ces immenses
progrès, la morale n’avait pas de réponse.
Tout cela explique pourquoi c’est dans les années 70 que la bioéthique s’est
imposée comme une nécessité.
En conclusion, l’éthique est un partage d’interrogations, elle nécessite une
formation pour penser au problème. L’éthique c’est comment penser l’Homme, que
dois-je faire pour préserver en l’Homme son Humanité. C’est une philosophie
pratique en lien avec le droit et elle concerne la société toute entière.
La dignité d’être humain est unique et essentielle, ce sont des valeurs sur
lesquelles on ne doit pas céder. Une fois ferme sur ces valeurs, l’éthique
permet de tout discuter.